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The Exvotos

L’autre jour, mon copain et moi avons regardé ensemble le film Ocaña, portrait intermittent (Ventura Pons, 1978). Lui, français, n’a jamais visité l’Andalousie et j’ai toujours pensé qu’Ocaña, le génial artiste queer décédé en 1983, est l’un des meilleurs médiums pour un premier contact avec la culture populaire et l’esprit andalous. À un moment du film, le peintre et agitateur de Cantillana, petit village à quelques kilomètres de Séville, affirme que l’Andalousie est comme un «un grand tableau surréaliste ». L’édition 2020 de la Feria de Séville n’a pas pu avoir lieu à cause de la pandémie du Covid-19. En avril, alors que la célèbre fiesta aurait dû être à son comble, Daniel et Luciano, The Exvotos, ont créé une pièce en céramique qui représentait une clown habillée avec la robe traditionnelle flamenca. Ce couple d’artistes fusionnait ainsi, avec brio et spontanéité, deux aspects essentiels de la fête : la revendication du folklore et le goût de la théâtralité. « La vie sans humour ne va nulle part. Nous le cultivons sans le forcer, naturellement. De plus, nous pouvons être très ironiques. Notre humour est surréaliste. » Eux dans leur maison du centre de Séville et moi dans mon appartement à Paris, Daniel, Luciano et moi invoquons l’esprit d’Ocaña. « Comme la vie elle-même, l’Andalousie n’est qu’un grand contraste : le sang et l’or, les larmes et la couronne « , explique Luciano.

L’art

Les Exvotos sont les enfants terribles de la création sévillane. Leur travail mêle tradition et modernité et joue avec la religiosité populaire et le paganisme. Le métal, le bois et surtout la céramique se transforment sous leurs mains en pièces habitées d’humour et de sophistication. Leurs références couvrent le Baroque et l’Antiquité, les avant-gardes, le mysticisme et même le kitsch. Un torrent de génie andalou. « Nous ne recherchons pas la perfection, nous croyons beaucoup à la spontanéité. Le parfait, le symétrique, ça ne nous intéresse pas. Nous sommes attirés par l’asymétrie, l’impur, l’usé. Cette merveilleuse imperfection qui finit par être doublement belle. Ce que j’aime le plus peindre, ce sont des gens qui louchent. En fait, ce sont les pièces que nous vendons le mieux », explique Daniel. « Nous ne vendons pas du faux. Nous recherchons la beauté et nous avons une idée concrète de ce que nous aimons, mais nous nous laissons aussi aller à l’inspiration du moment. Il faut que ce soit frais. Nous recherchons l’étincelle, l’authenticité, la lumière. La lumière naturelle est la base de tout. Cela peut surprendre, mais nous n’aimons pas l’artifice. Par exemple, la série #lahoradelafruta, que nous publions régulièrement sur notre profil Instagram, est née d’une habitude qui fait vraiment partie de notre quotidien. » Les Ex-Votos font de la vie une œuvre d’art. Et pas seulement en ce qui concerne leurs pièces : être reçu dans leur atelier constitue une expérience teintée d’art de vivre à l’andalouse et, en même temps, d’esprit cosmopolite. Chaque visite a quelque chose d’un rituel initiatique sous le signe du naturel et, finalement, de l’art.

L’atelier

Situé au nord de la vieille ville, l’atelier de Daniel et Luciano est un lieu de pèlerinage pour les connaisseurs. Un authentique cabinet de curiosités où, quand ils ne reçoivent de visites, le couple travaille dans une atmosphère monastique. L’exubérance des pièces contraste avec la concentration respirée. #quieroelconvento (#onveutlecouvent) est en fait le hashtag que les Exvotos répètent le plus sur les réseaux sociaux ces derniers temps. « Nous sommes conventuels dans notre routine. C’est le style de vie dont notre travail a besoin et auquel nous aspirons également : la vie des moines, axée sur la prière et le travail. La prière entendue comme méditation, comme un être en contact avec soi-même. » Daniel et Luciano mettent toute leur énergie à trouver un endroit pour atteindre cet idéal. « Nous voudrions une maison où le travail se confondrait avec la vie. » Après le confinement, il semble que tout le monde recherche la même chose : la demande de logements avec patio, terrasse ou jardin a explosé. « Pendant des années, j’ai voulu acheter un bout d’espace en plein air qui ne serait qu’à moi et maintenant il semble que tout le monde veut le couvent ! », s’exclame Luciano. « Ce que nous aimons le plus au monde est l’horizon. Ce qui m’émeut le plus, c’est la campiña sévillane : un champs d’oliviers, un paysage ondulé, les paysages de mon enfance, la Vega de Carmona aux environs de Séville. La nature est l’une de nos plus grandes sources d’inspiration. »

La ville

Entre le centre-ville, où ils vivent, et le quartier de la Macarena, où ils travaillent, la vie quotidienne des Exvotos se partage entre deux Séville très différents. «Nous vivons dans le Ground Zero sévillan : une ville incroyablement belle mais anonyme. Il n’y a pas de vie de quartier, il y a peu de rapports humains. Pendant les applaudissements à 20h, nous étions peu nombreux à sortir à la fenêtre car il n’y a là-bas que des appartements touristiques qui, pendant le confinement, étaient vides. Au contraire, les quartiers de San Luis et de la Macarena, où nous avons notre atelier, conservent toujours leur personnalité », explique Luciano. « Séville a beaucoup changé. Quand nous sommes arrivés, c’était une ville rêveuse, repliée sur elle-même. D’un coup, tout a commencé à dépendre du tourisme et cela a eu des conséquences sur le prix des logements et des locaux. » Daniel ajoute : « Séville est très décaféinée. Nous avons connu une ville, des ambiances, qui n’existent plus. Il reste des poches de résistance, mais il faut savoir les repérer. L’authenticité s’est évaporée. Cela devient encore plus évident quand nous revenons dans nos villages d’origine : là-bas, on trouve toujours de la vie. » Luciano abonde : « Une ville n’est pas seulement ses bâtiments, mais surtout ses habitants. Les touristes viennent à Séville aujourd’hui comme s’ils visitaient Disneyland. Que je sache, personne ne vit à Disneyland, pas vrai ? Eh bien, dans le centre de Séville non plus. »

Épilogue

« Nous croisons parfois La Esmeralda (célèbre transformiste sévillan des années 1980 et 1990, véritable mythe local) dans la rue (elle nous dit toujours quand elle nous voit ensemble : « vous êtes comme les figurines sur un gâteau de mariage »). Ces moments nous renvoient à ce Séville disparu. Les grandes figures comme elle n’obtiennent pas l’attention qu’elles méritent. Séville peut être très négligent envers le talent local. Ocaña est parti à Barcelone et il y a rayonné. » Une fois terminées, la plupart des pièces de The Exvotos voyagent en dehors de Séville, où elles éveillent la convoitise de collectionneurs et de magazines spécialisés. Le génie que cette ville a toujours allaité continue de trouver son meilleur public ailleurs. « Il est vrai aussi que ces personnages géniaux ont toujours abondé en Andalousie. Ils faisaient partie de la vie de tous les jours et c’est peut-être pour cela qu’ils n’étaient pas, et ne sont pas, mis en valeur comme il faudrait. »

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