Don Juan, vous connaissez? Le séducteur mythique, dont les aventures se déroulent à Séville, défraie la chronique depuis des siècles. Dans la légende, cet aristocrate mène pendant des années une vie de débauche et de luxure, s’opposant aux règles sociales et religieuses, jusqu’au jour où il est puni. Mais a-t-il vraiment existé? En tout cas, à Séville, on aime bien imaginer que les auteurs qui ont créé le mythe se sont inspiré de Miguel de Mañara. Ce riche sévillan du XVIIe siècle a contribué avec sa fortune au développement de la Hermandad de la Santa Caridad (Confrérie de la Sainte Charité), dont le but était (est) de porter secours aux malades les plus démunis. Les chroniques de l’époque parlent de son dévouement envers les pauvres, qu’il soignait parfois de ses propres mains. Il a aussi financé en grande partie la construction de l’hôpital de la Confrérie, ainsi que de son église. Et tout cela, dit-on, après une période de sa vie vouée à la débauche…
De nos jours, on commence la visite de l’Hospital de la Caridad par un grand patio à colonnades. Divisé en deux par une galerie, il héberge deux fontaines de style italien surmontées par deux sculptures en marbre représentant la Foi et la Charité. La dernière fois où je l’ai visité, deux vieux messieurs étaient assis sur un banc à papoter. Des pensionnaires de l’hôpital, j’imagine. Je me suis dit qu’il est incroyable qu’une institution créée il y a trois siècles continue de fonctionner, exactement au même endroit.
L’accès à l’église se fait à travers une porte au fond. On est tout de suite frappé par cet espace au baroque exacerbé, qui, pour mieux faire passer son message, a été conçu comme un décor théâtral. Les deux chefs-d’oeuvre de Valdés Leal accrochés à l’entrée nous rappellent avec un réalisme cru le caractère passager de la gloire et de la richesse: sur l’un, les cadavres d’un évêque et d’un chevalier, parés des habits du pouvoir, apparaissent rongés par les vers. Sur l’autre, la mort éteint d’une main la flamme de la vie et écrase d’un pied un globe terrestre. Ensuite, changement de registre grâce aux toiles de Murillo, quatre desquelles ont été emportées par le maréchal Soult en 1810, pendant la Guerre d’Indépendance espagnole (elles sont aujourd’hui remplacées par des reproductions): des scènes bibliques à la douceur caractéristique du peintre sévillan. Enfin, le maître-autel sert de scène à une Mise au tombeau de Pedro Roldán, dont les sculptures sont touchées d’un dramatisme émouvant. Cet ensemble artistique, un des plus remarquables d’Espagne, a été conçu pour éveiller chez le visiteur un sentiment d’humilité et de charité. Preuve ultime de cette vocation, Miguel de Mañara s’est fait enterrer sous le seuil de la porte principale de l’église, de façon à ce que les gens foulent sa pierre tombale en accédant au temple. Son épitaphe, taillé dans la pierre, dit: ici repose le pire homme qui ait jamais existé.
Calle Temprado, 3